Depuis le 11 janvier, les salariés de l’Adapei (Association départementale de parents et d’amis des personnes handicapées mentales) sont en grève illimités. Dès le premier jour, près de 300 manifestants s’étaient rassemblés devant les bureaux de l’association, à Clermont-Ferrand. La direction souhaite changer l’accord sur l’organisation du temps de travail, datant de 1999. Les salariés revendiquent une évolution de l’ancien accord, point par point.

La police bloque la rue des deux côtés. Sur le trottoir, un barbecue est en flammes, accompagné de l’habituelle musique militante pour réchauffer les cœurs. Des banderoles sont affichées tout le long du mur. Les militants ne vacillent pas. Ils ne veulent pas des nouvelles propositions de la direction de l’Adapei qui soutient que l’organisation du temps de travail, vieille de 22 ans, n’est plus optimale pour les besoins des personnes en situation de handicap et leurs familles. « C’est facile de dire que l’accord est vieux de 22 ans, mais les salariés sont satisfaits de celui de 1999. Ils veulent bien négocier à partir de cet accord existant, point par point, mais pas le remplacer par un autre. Ils seraient perdants. » explique Chantal Randon, déléguée CGT. Pour les salariés de l’Adapei, ces modifications de l’organisation du temps de travail n’ont qu’un objectif : faire des économies sur les salaires. Quant à l’évolution des besoins avancés par la direction, ce n’est qu’une excuse pour les militants : « La direction défend que ces modifications sont faites pour mieux favoriser l’inclusion des personnes en situation de handicap. Sauf que la loi d’inclusion existe depuis 2005 et on s’efforce déjà de l’appliquer tous les jours » explique une autre salarié anonyme. « Ça fonctionne très bien comme ça. On adore notre métier, travailler avec les enfants, se donner pour eux et leur apporter des outils pour faciliter leur inclusion. On dépasse déjà largement nos horaires pour ça. On n’est pas là pour le salaire, ça c’est sûr. » ajoute sa collègue. Les salariés s’inquiètent donc non seulement pour leurs conditions de travail mais aussi pour leurs résidents : « Changer nos horaires pour les rendre plus flexibles comme ils le souhaitent, on a bien peur que ce soit anxiogène pour nos résidents. Ils ont besoin de stabilité, d’un cadre. Pourquoi vouloir les déstabiliser alors que le système actuel convient à tous ? »

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Les propositions de la direction ne sont pas là pour rassurer : celle-ci souhaite rendre les plannings plus flexibles, traiter ses salariés quasiment comme des intérimaires, en modifiant leur emploi du temps comme elle le souhaite. Non seulement cela empêche ces derniers de se projeter et de s’organiser pour leur résidents et dans leur vie privée, mais ça leur fera aussi perdre une partie de leur salaire. « Les salariés auront des journées discontinues, avec de grosses pauses non rémunérées entre le matin et l’après-midi par exemple » explique Chantal. « Avant, en travaillant une journée continue, on avait une pause de 30 min entre midi et deux, rémunérée avec le repas compris. Les journées discontinues se feront en deux fois. La pause n’est donc pas comprise dans le salaire, les allers-retours pour aller manger nous feront perdre du temps dans notre vie privée et de l’argent » poursuit-elle. Par exemple, les horaires de travail pourront être de de 7 h à 9 h puis de 14 h à 20 h. « On va travailler à flux tendu. A midi, il ne restera plus qu’un éducateur pour le temps du repas. C’était justement un temps privilégié pour permettre l’inclusion, en leur apprenant à déjeuner correctement. Maintenant on n’aura plus le temps si on est seul. En plus, c’est dangereux car on s’occupe aussi de personnes avec des problèmes de déglutition » argumente une salariée travaillant dans le secteur des enfants. « En fait on va devenir une garderie plutôt que d’être un établissement d’éducation » conclut une autre.

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En plus de cette flexibilité, les salariés d’Adapei vont aussi perdre des acquis sociaux. Dans l’accord de 1999, les salariés avaient droit à « 6 jours par enfant et par salarié pour un enfant malade », explique Chantal. La direction, dans son nouvel accord, souhaite supprimer la rémunération de ces jours, comme il était convenu dans l’accord de 1999. Autre acquis supprimé dans le nouvel accord : les 5 jours Adapei. Ils concernent uniquement les salariés du secteur s’occupant de personnes en situation de handicap adultes. (NDLR : Comme les salariés du secteur s’occupant d’enfants ont 6 jours de congés trimestriels, l’Adapei avait accordé 5 jours par an au secteur « adulte »). « Ça conduit à une dégradation de la prise en charge au niveau des résidents. On a besoin de se reposer pour bien travailler » explique Félix, employé dans ce secteur.

Les salariés quittent la réunion avec la direction

Alors que les syndicats avaient rendez-vous mardi matin avec la direction, ils ont quitté la réunion au bout de 30 minutes car le dialogue était impossible : « Ils refusent de négocier sur l’accord existant. Ils veulent un accord où on sera perdant, sans qu’on puisse rien dire. Ils nous ont délocalisé dans un hôtel Campanile pour le rendez-vous, mais on avait laissé des militants devant les bureaux ! » précise Chantal. « C’est plus facile de dire qu’on est réticents plutôt que de négocier » ajoute une anonyme. Ce qui indigne le plus les militants d’Adapei, « c’est que la direction nous fait fonctionner comme une entreprise plutôt que comme une association. Ils pensent au côté financier alors qu’on est soi-disant un organisme à but non lucratif » s’énervent les trois anonymes. « Il n’y a pas de négociations, pas de dialogue. On a pas du tout été sollicité pour rédiger ce nouvel accord. La direction a fait ces travaux toute seule. Elle juge les besoins des résidents alors qu’ils ne sont jamais sur le terrain. » poursuivent-elles.

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Tract distribué par les syndicats.SONY DSC

Mais les salariés dénoncent des faits encore plus graves : « Si on veut rester anonymes, c’est clairement parce qu’on risque notre emploi » expliquent-elles. « Il y a déjà eu des sanctions, la direction est devenue de plus en plus autoritaire. Il y a un climat de terreur. » Patrice Defond, secrétaire général FO (Force Ouvrière) s’insurge : « C’est inadmissible. Ils menacent même les parents qui nous soutiennent. Certains commençaient à monter des collectifs, la direction leur a ordonné de faire un démenti sur leurs dénonciations et leur a fait du chantage en menaçant de priver leur enfant d’une place dans un de nos établissements. Hier, une maman nous a appelés trois quart d’heure, la voix chancelante, tétanisée ! » Cédric, le délégué syndical CFDT poursuit : « C’est déjà difficile d’obtenir une place dans un établissement, il y a énormément de listes d’attente pour y accéder et les parents ont très peur de la perdre. » Felix rebondit : « C’est inadmissible parce qu’on est une association de famille, créée par des parents. Et là, ils n’ont pas la parole et en plus, on leur met la pression. C’est méprisant parce qu’on est sensé être une association avec des valeurs d’entraide, d’écoute, de co-construction. Sauf qu’on nous écoute plus. »

La direction aurait même usé de stratagèmes pour repousser la contestation : « Ils ont dénoncé l’accord existant le 28 novembre 2019. On a 18 mois pour rejeter leurs propositions une fois l’accord dénoncé. Sauf qu’ils nous ont donné leurs documents de travail les 8 et 9 décembre derniers. Donc 14 mois après pour nous laisser deux mois pour trouver un accord. Trop peu pour une réflexion constructive. » dénonce Chantal.
Face au mépris de cette direction, la lutte s’organise : la grève est illimitée et une permanence est tenue devant les bureaux d’Adapei de Clermont-Ferrand. « On essaie d’être là selon nos emplois du temps » explique Félix. « On doit rester visibles, que ce soit devant le siège, ou dans les 67 établissements » ajoute Patrice (FO). « Des actions sont organisées au niveau local. Les gens qui travaillent à Thiers ne vont pas venir jusqu’ici pour une heure. Donc ils débrayent à des moments choisis dans leurs établissements » poursuit-il. « C’est d’ailleurs moins massif ici que dans les différents instituts » termine Chantal.

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Les syndicats gardent tout de même espoir : ils ont sollicité les mairies ainsi que le député de la circonscription, André Chassaigne. Ils ont aussi rendez-vous avec l’ARS (Agence Régionale de Santé) qui finance en partie les établissements. « Les mairies sont aussi prestataires, notamment pour les repas dans les écoles par exemple » commence Patrice(FO). « Certaines nous soutiennent et parfois nous sollicitent d’elles-mêmes. Certaines vont même peut-être boycotter le service dont elles sont prestataires pour nous soutenir. » Quelques minutes plus tard, les responsables syndicaux apprennent qu’André Chassaigne a accepté de les rencontrer à 16h45 sur Thiers. Une bonne nouvelle qui soulage. « On fait partie de ces personnels qui ont été sollicités pendant la crise et c’est une piètre considération qu’on reçoit de notre direction par la suite. On est partis en renfort dans des internats, et derrière ils nous coupent nos jours de congés. C’est douloureux. Donc être soutenus des institutions, ça redonne espoir. » conclut Patrice.
Le 18 janvier, soit après 8 jours de grève, la direction est convoquée par le préfet pour établir potentiellement une médiation. Depuis mercredi dernier, aucune nouvelle négociation n’a été mise en place. Les grévistes dénoncent même le fait que la direction utilise les réquisitions, autorisés par le préfet, pour leur empêcher de faire grève. Les salariés sont effectivement obligés de répondre présent sur le lieu de travail lorsque la direction les réquisitionne à cause de la Covid, pour la sécurité des résidents … Pour les syndicalistes, ce ne sont que des excuses. « C’est étrange, il y a presque plus de personnel mobilisé que d’habitude. » interroge Sylvie, une gréviste restée à la permanence devant le siège de Clermont-Ferrand. « La direction dit qu’on est trop en colère pour négocier. Les réquisitions, en tout cas, n’aident pas à calmer le jeu. » poursuit Annie. Patrice, toujours présent à la permanence explique aussi que la direction envoie des courriers ou appellent même les familles pour qu’elles gardent leurs enfants chez eux : « La direction en profite pour nous faire passer pour les méchants. Mais les familles comment aussi à être énervées. » Les pressions continuent elles aussi : « Je pense que certains vont le payer à la fin de la grève » s’inquiète Sylvie. « Moi la direction m’a envoyé un courrier rappelant l’article de mise en danger d’autrui… Psychologiquement, c’est dur. » expose Nadège. Isabelle explique que ces sanctions ne sont pas récentes : durant les grèves de 2018, une salarié a finit en arrêt maladie à force de pressions. Plus récemment, Cyril, un ancien représentant du personnel, s’est fait licencié. Isabelle aussi a eu droit à deux entretiens à sanction en deux ans. Comptable au sein de l’Adapei, elle présente les plans de la direction concernant son secteur : « Normalement les comptables travaillent dans les établissements. La direction veut nous faire passer sous l’égide du siège. Non seulement on aura pas de représentant de la filière et de l’établissement, mais en plus certains droits, comme les jours de congés réservés à certains secteurs nous seront retirés, puisqu’on ne sera plus en lien avec l’établissement dudit secteur. »
Face au mépris de leur administration, les grévistes ont décidé de lancer une pétition : https://www.change.org/p/adapei-63-soutenir-les-professionnels-du-secteur-handicap-pour-garder-leurs-conditions-de-travail?signed=true

Le 18 janvier 2021