Manifestation nationale contre la « casse de la protection de l’enfance », lundi 12 juin, à Angers. 2000 personnes étaient présentes pour protester contre les redistributions de places attribuées à la protection de l’enfance, qui laisse sept associations sur le carreau. Le début d’un mouvement national ?  

par Elsa Sabado 13/06/2017 Liaisons Sociales Magazine

La protection de l'enfance victime de restructurations© Elsa Sabado

Des têtes de poupées démembrées sortent des sacs à dos. Certains ont une peluche dans la main, d’autres un masque sur l’arrière de la tête, une larme peinte sous l’œil. On porte des cercueils en carton. Lundi 12 juin, les travailleurs sociaux manifestaient dans les rues d’Angers.

C’était la troisième manifestation en trois semaines. Cette fois, l’appel est national. 2000 personnes se s’étaient rassemblées.  « Le coup de massue est tombé en avril. J’ai appris sur internet – tout comme mes employeurs- que l’association qui me salariait avait perdu l’appel à projet lancé par Christian Gillet, le président du conseil départemental. Autrement dit, que mon lieu de travail allait fermer ses portes », raconte Maeva, éducatrice spécialisée des « Ecureuils ».

A cette MECS (maison d’enfance à caractère social), qui accueille les enfants placés par la justice ou l’aide sociale à l’enfance, s’ajoutent six associations locales qui ont ont subi le même sort. Elles doivent laisser place à d’autres associations, dont deux nouvelles dans le département, SOS Village d’Enfants et Les Apprentis d’Auteuil. 350 salariés attendent d’être licenciés, sans garantie de réembauche.

Rationnalisation

« Il y a deux ans, le conseil départemental nous a demandé de réfléchir aux pratiques afin d’être plus rationnels. On l’a fait de bonne grâce, et notre association a proposé un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens qui impliquait une évaluation interne et externe tous les deux ans.

Mais le département n’a rien voulu savoir. Ils avaient déjà décidé de mettre en place un appel à projet avec une mise en concurrence des associations, avec en corolaire, une baisse du prix de journée », explique Steeve, éducateur spécialisé à l’ARPEJE 49. Pour « Les écureuils », par exemple, le coût d’un enfant placé sur une journée doit passer de 240 euros à un montant entre 150 et 170 euros.

Une interprétations contestée par Marie-Claude Catel, directrice générale adjointe chargée du développement social et des solidarités au département. « Lors des premières concertations, tout le monde était d’accord pour faire évoluer l’offre. Nous étions confrontés à une augmentation du nombre d’enfants à troubles.

Nous avions un problème de répartition territoriale. Les Contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens étaient adaptés à une extension de 30% du produit. Au delà, nous sommes légalement obligés de recourir à un appel à projet. On avait pas envie de faire évoluer notre offre cinq places par cinq places. »

350 personnes licenciées

Le département choisit de supprimer 100 places à Angers, d’en créer 50 au nord, au sud et à l’est de la ville. « Certaines associations réunissaient déjà les fratries, sans pour autant mener un projet de fratrie », nuance Marie-Claude Catel. « Les associations devaient répondre à six critères répartis en 61 points.

Les dossiers étaient ensuite analysés par une commission dans laquelle les élus locaux étaient minoritaires. 45% de la note portait sur le critère du projet éducatif, 15% sur la connaissance du milieu local et de la protection de l’enfance, 40% sur le prix. Nous avons mené les auditions, posé des questions complémentaires », poursuit-elle.

En avril 2017, les résultats tombent, jetant les salariés des associations perdantes dans l’angoisse. Dans ce secteur, il n’y a pas de transfert automatique du personnel d’une association à l’autre. 350 personnes vont donc être licenciées, sans garantie de reprise par les nouveaux employeurs.

Parmi eux, certains sont des éducateurs spécialisés expérimentés qui craignent de n’être pas repris, pour cause de salaire trop élevé. Autre problème, les Apprentis d’Auteuil dérogent à la convention collective 66, qui garantit notamment aux travailleurs sociaux un repos compensateur trimestriel.

L’inquiétude monte, en dépit de la proposition d’une « bourse à l’emploi » qui devrait être ouverte en septembre, où les licenciés des anciennes associations pourront proposer leur CV aux nouvelles.

Histoire ratée

« S’assurer que tout le monde sera bien repris, c’est notre job. Les nouvelles associations, il faudra bien qu’elles recrutent. Lors des auditions, nous leur avons posé trois fois la question de savoir si elles allaient bien reprendre l’ancien personnel. Elles ont pris des engagements, que nous ferons tout pour leur faire respecter.

Si cela pose des problèmes pour les salariés les plus anciens, le département pourra faire un effort jusqu’à leur retraite », assure Marie-Claude Catel, convaincue que l’économie d’une centaine d’euros en coût à la journée ne se fera pas sur le dos des salariés, mais bien sur la mutualisation des moyens opérée par les associations ayant remporté l’appel d’offre, et sur le levier patrimonial.

Et de regretter que les associations se soient mise en concurrence alors que ce n’était pas le sens de cet appel à projet. « Au lieu de s’allier pour proposer des dispositifs adaptés, elles se ont répondu en ordre dispersé. Au final, on nous a proposé 1800 places, soit le triple de ce dont nous avions besoin.

C’est une histoire ratée. Je comprends aujourd’hui que les salariés soient inquiets. Nous travaillons aujourd’hui avec les associations pour que personne ne tombe au chômage, mais d’autres veulent le retrait pur et simple de l’appel à projet, ce qui est impossible », affirme Marie-Claude Catel.

Enjeu national

Voire. Les travailleurs sociaux d’Angers ont réussi à populariser leur lutte. Dans le cortège de 2000 personnes, on retrouve les salariés des structures concernées, mais aussi des étudiants qui ne trouvent plus de stage, ou encore des soignants.

On pouvait aussi croiser des personnes du secteur hospitalier ou encore de l’éducation nationale. Ou cette élue, dont la ville Saumur, déjà sinistrée par le chômage, va pâtir de la fermeture d’une structure.

Et les syndicats se mobilisent au niveau national. « Partout en France, les appels à projet servent à faire un écrémage des associations. L’action sociale est la variable d’ajustement du budget des conseils départementaux. D’habitude, c’est une association par ci, une autre par là qui disparaissent. Cette fois-ci, c’est un pan entier de la protection sociale que l’on détruit.

Christian Gillet, le président du conseil départemental, reçoit d’ailleurs ses homologues pour leur expliquer comment il a procédé, il y a un vrai risque de généralisation partout en France. C’est pour cela que nous devons gagner maintenant, pour enrayer la machine du dumping social », explique Nicolas Guez, secrétaire fédéral de Sud Santé-Sociaux. Présentes lundi 12 juin, la CGT, FO, ou la FSU partagent la même position.

Le 17 juin 2017