La loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire a été adoptée par le Parlement ce samedi 9. L’article 11 de cette loi mérite une attention particulière : il prévoit la mise en place d’un dispositif de « contact tracing » dès le 11 mai, dans lequel l’Assurance maladie sera en première ligne.

Il s’agit d’un dispositif complet visant à retracer, par des données personnelles, les personnes qui auront été en contact avec une personne infectée par le Covid-19. En utilisant à la fois les
moyens informatiques de l’Assurance maladie (bases de données, systèmes d’information,etc.) qui seraient centralisés dans un système unique au service in fine des autorités sanitaires (Agences Régionales de Santé – ARS – et Agence Nationale de la Santé Publique – ANSP), et à la fois son maillage territorial, en sollicitant les salariés des caisses, l’Assurance maladie mettra en place dans chaque département des « brigades de l’Assurance maladie ».

En effet, le dispositif s’organise comme suit :

Premier niveau : les médecins généralistes
Ils seront chargés d’enregistrer les patients symptomatiques sur un nouveau télé service « Contact Covid » accessible depuis leur espace professionnel sur le site de l’Assurance maladie amelipro.
Cet enregistrement vaudra prescription d’un test de dépistage et de masques pour la personne concernée, et le médecin débutera le « contact tracing » (traçage des contacts), a minima la cellule familiale : la création d’une fiche, dénommée « Patient Contact », pour chacun de ces « cas contact » sur cet espace virtuel associé à la fiche de ce « patient 0 ». La personne symptomatique devra également suivre les recommandations d’isolement.
Si le résultat du test est positif, le recueil des cas contacts au-delà de la cellule familiale de la personne infectée devra se poursuivre et débutera le niveau 2. Le médecin devra aussi à ce moment-là recueillir l’éventuel consentement du patient pour communiquer son nom aux cas contacts concernés.

Deuxième niveau : l’Assurance maladie
Dans chaque département, les caisses organisent des plateformes en « brigades » à partir du dossier créé par le médecin. Avec le patient, ils poursuivront l’identification des cas contacts hors du domicile et créeront les fiches idoines dans le système.
Immédiatement, elles devront appeler tous les cas contacts, leur transmettre un questionnaire pour retracer leurs propres cas contacts et leur indiquer les démarches à suivre : isolement, consignes de quatorzaine, test de dépistage. La création de ces fiches « Patient contact » vaudra, comme la fiche « Patient 0 », prescription du test et
de masques.

Troisième niveau : les autorités sanitaires (ARS, ANSP) et les cellules d’appui à l’isolement                                                            Les autorités sanitaires auront accès aux informations du système de l’Assurance maladie pour identifier les chaînes de transmission et la détection d’éventuels clusters (foyers de contamination), et pourront alors mettre en oeuvre des mesures spécifiques en lien avec les préfectures et les collectivités territoriales : investigations de terrain,
campagnes de tests ciblés, fermeture de structures, etc.
Dans le cas de besoins d’accompagnement particulier, renseignés sur les fiches (logement, portage de repas, etc.), les cellules d’appui à l’isolement interviendront.
Organisée sous forme d’un guichet unique, il pourra s’agir des Conseils
départementaux, des Centres Communaux d’Action Sociale, ou d’associations comme La Croix Rouge.

Il s’agit donc pour le Gouvernement de mettre en œuvre les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé et du Comité scientifique créé depuis l’épidémie qui pourrait se synthétiser par : « détecter, tester, isoler et tracer », et ce sans avoir nécessairement à recourir à une application numérique de type « StopCovid ».

En premier lieu Force Ouvrière a dénoncé la mise à l’écart des gestionnaires légitimes de l’Assurance maladie : nombre de conseillers Force Ouvrière dans les CPAM ont appris par voie de presse la mise en place de ces « brigades de l’Assurance maladie ».

En effet, autant au niveau national que local, ce dispositif aura été préparé en contournant les conseils. Il est à noter d’ailleurs que cela s’est déroulé sans que la loi ne soit même votée au Parlement. Autre élément de procédure inhabituel : la CNIL donnera son avis sur cet article après sa publication, alors qu’il est d’usage qu’elle le donne sur la base du projet de loi.

De son côté, le Conseil constitutionnel a formulé des réserves quant au respect de la vie privée et a censuré le fait que, au 3ème niveau, les cellules d’appui aient accès aux données sans le consentement des personnes concernées.

Au mieux aura été donnée au dernier moment une simple information au conseil de la caisse nationale, dans des conditions plus que délétères (sujet contraint à 1h de traitement global, temps de parole limité à 2 minutes par organisation, absence de débat). Il demeure pourtant
sa prérogative de « déterminer les orientations relatives à la contribution de l’assurance maladie à la mise en oeuvre de la politique de santé ainsi qu’à l’organisation du système de soins ».

Cette consultation est d’autant plus importante qu’est créée de fait une mission extraordinaire. Les personnels administratifs des CPAM, soumis au secret professionnel, n’ont d’ordinaire connaissance que des éléments nécessaires à la gestion des droits des assurés sociaux à l’exclusion de leur dossier médical. Ils n’ont donc pas à traiter des situations qui relèvent du domaine médical et qui, en l’occurrence, peuvent s’avérer très délicates.

FO rappelle son attachement au strict respect du secret professionnel et du secret médical alors que cette procédure conduit à annoncer à un assuré qu’il a été en contact avec un autre assuré qui a contracté le virus.

Aussi, Force Ouvrière dénonce les retards actuels et alerte en conséquence sur les difficultés à venir quant aux droits des assurés sociaux

Les « brigades » de l’Assurance maladie auraient à assurer le fonctionnement de cette plateforme 7 jours sur 7, de 8h à 19h sans interruption, et seraient composées de salariés des caisses sur la seule base du volontariat, avec souvent un seul médecin référent du service
médical présent. Ce dispositif mobilisera environ 6 500 salariés des caisses. Or, il existait déjà des retards ou lenteurs dans l’effectivité des droits, des remboursements et des revenus de remplacement, aggravés depuis le début de la crise sanitaire. Ce nouveau dispositif pourra
donc perturber d’autant plus le fonctionnement des missions normales de l’Assurance maladie. On voit là les conséquences néfastes de la politique menée depuis 25 ans, au travers des Contrats d’Objectifs et de Gestion (COG) consistant à réduire sans cesse les effectifs et les
moyens dédiés aux caisses. Avant la crise, elles fonctionnaient presque partout et dans chaque service, en forte tension. C’était d’ailleurs un objectif assumé du directeur général de la caisse nationale.

Depuis, aucune annonce de recrutements ou de réorientation de cette politique n’a été faite.

En conséquence, Force Ouvrière s’interroge sur le respect des procédures budgétaires, compte tenu du volume d’heures supplémentaires attendu, qui serait qui plus est effectué sur des plages horaires inhabituelles (le weekend, dimanche compris).

Il appartient toujours aux conseils de se prononcer sur les budgets rectificatifs, qui n’ont pas même été évoqués à ce stade ; et il aurait été légitime de s’interroger sur l’opportunité de recrutements.

En outre, Force Ouvrière s’inquiète sur l’accessibilité et la protection des données de ce système.

Ainsi, l’exposé des motifs de la loi indique que d’autres structures pourraient avoir accès au fichage, ou l’alimenter : le service de santé des armées, les communautés professionnelles territoriales de santé, les centres de santé et les maisons de santé, en plus des laboratoires
d’analyse médicale et des pharmacies d’officines déjà évoquées.

Force Ouvrière ne peut manquer de souligner plus largement l’avis donné par la CNCDH qui attire l’attention quant au recours notamment de systèmes de dépistages numériques sur le risque « d’un effet cliquet par l’accoutumance au recours aux outils numériques légitimés dans le contexte de protection de la santé publique, ouvrant à l’avenir l’usage de
ce même type de mesures pour d’autres fins et justifiant une critiquable interconnexion élargie des fichiers ». La CNCDH met en garde également sur les risques induits par la multiplicité d’acteurs qui pourront accéder aux fichiers, et du fait que les données sensibles
collectées pourraient être partagées sans le consentement des personnes intéressées, appelant en conséquence à un contrôle indépendant et un suivi dans le temps de ces mesures. Nous avions déjà noté dans une circulaire précédente que la CNCDH reprenait
l’alerte, que nous avions formulée dans notre communiqué en réaction à la présentation par le Premier Ministre du plan de déconfinement, sur les risques de stigmatisation dans le cadre de l’emploi.

Aussi, pour Force Ouvrière :

– la durée de conservation de ces données semble disproportionnée à l’objectif affiché ;
– le nombre d’acteurs ayant accès à ces données l’est également : tous les professionnels ou acteurs cités pourraient réaliser leur mission sans avoir accès au système ;
– les données stockées le seront de manière large, ce qui contrevient au principe de minimisation, selon lequel il faut collecter les informations absolument nécessaires aux finalités (en l’occurrence l’identité et le contact, et pour les seuls professionnels de santé, les facteurs de comorbidités) ;
– la protection des données n’est pas garantie à ce jour, notamment le lieu géographique de stockage est inconnu.

C’est pourquoi Force Ouvrière revendique :

– la convocation des conseils des CPAM pour qu’ils se prononcent sur l’ensemble de ces sujets ;
– la révision de la gouvernance du système d’information de l’Assurance maladie, en particulier du « Health Data Hub » pour y inclure les gestionnaires légitimes ;
– l’information claire, publique et transparente sur ce système d’information ;
– la création d’un comité paritaire qui sera consulté systématiquement sur tous les dispositifs liés à la gestion de la crise, avec une mission spécifique dédiée au suivi de ce dispositif de traçage.

Autant des dispositifs spécifiques et exceptionnels sont sans doute requis pour limiter la propagation du Covid-19, s’appuyant sur les données nécessaires aux analyses et recherches afférentes, autant des garanties concrètes doivent être apportées sur le respect des principes
de déontologie, de confidentialité et de protection des données. Cela demande en conséquence que les moyens supplémentaires soient apportés dans le respect du service dû aux assurés sociaux et des conditions de travail et de rémunération.

Enfin, Force Ouvrière ne peut manquer de s’interroger sur le fait que l’invocation de l’urgence conduise à ce que soient mises en oeuvre des dispositions avant même que la loi qui les prévoit ne soit votée. Elle a d’ailleurs fait part de ses inquiétudes quant à la prolongation de l’état
d’urgence sanitaire au regard de son impact sur les libertés fondamentales et individuelles, estimant avec la CNCDH « que l’institution d’un nouveau régime d’exception n’allait pas de soi ».

Le 14 mai 2020