Le certificat d’isolement donne de droit l’accès au chômage partiel. En précisant un peu mais pas trop son état de santé ou celui d’un de ses proches, ce dispositif protège. Mais il enfonce une digue dans la vie privée : la vigilance reste de mise.

Avant que Gloria, aide-soignante à domicile de 51 ans, ne remette son certificat d’isolement à son employeur, elle ne lui avait jamais parlé de son hypertension artérielle et de ses problèmes respiratoires. « Quand on veut un travail, il ne faut pas raconter sa vie. ». Mais mi-avril, le médecin du travail la questionne, comme ses autres collègues, pour savoir si elle présente des pathologies à risque. Il la met en arrêt maladie, puis en chômage partiel.

«Je trouve bien de pouvoir éviter une situation à risque. Mais ça me gêne que les employeurs connaissent la santé de leurs salariés, même si le certificat ne le précise pas, poursuit-elle. Après certaines allusions je me demande si le médecin du travail n’a pas raconté des choses. Peut-être qu’à l’avenir, on nous pointera du doigt, voire pire… »

Le certificat d’isolement, un document à double tranchant

Avoir la possibilité de ne pas travailler et d’être indemnisé pendant l’épidémie de coronavirus : la mesure est protectrice. Mais elle soulève des questionnements. Légalement, un salarié n’est en effet pas obligé de dire à son employeur qu’il est malade ou en situation de handicap, même s’il a une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH).

«Un certain nombre de personnes souffrant d’un handicap invisible sont amenées actuellement à un outing forcé dans le cadre de leur entreprise », constate Éric T (son nom a été modifié). Adhérent à la Ligue française contre la sclérose en plaques (LFSEP), il sait, pour l’avoir vécu, combien révéler un handicap peut être lourd de conséquences négatives, au lieu de déclencher des adaptations de poste. «Certes, les entreprises n’ont pas le motif exact. Mais que vont faire les employeurs de ces suspicions ? Un licenciement pour inaptitude, ce n’est pas très compliqué. »

Ingrid Geray, avocate, confirme ce constat. «La mise en place et le bénéfice de ces dispositifs obligent le salarié à révéler au moins partiellement des éléments relatifs à sa santé et celle de ses proches. Mais l’employeur ne peut le questionner davantage puisque cela a trait à sa vie privée. De plus, il ne peut le contraindre à solliciter une RQTH, s’il n’en a pas.»

Revenir au travail pour ne pas risquer d’être stigmatisé

Une autre militante de la LFSEP souhaitant également rester anonyme témoigne, elle aussi. « Je connais une personne ayant un traitement immunosuppresseur qui n’a pas voulu de certificat d’isolement pour ne pas être “estampillée” fragile par son employeur et, du coup, stigmatisée. Elle est revenue au travail le 11 mai. »

Autre difficulté : le certificat d’isolement ne comporte aucune date de fin. La mesure court pour l’instant jusqu’au 31 décembre. Certaines personnes ayant remis ce certificat souhaitent reprendre le travail mais leur employeur leur a demandé de ne pas revenir.

Des employeurs tentés de prolonger le chômage partiel

La tentation pourrait également exister, dans certaines entreprises, de prolonger plus que nécessaire le chômage partiel des personnes vulnérables ou proches de personnes vulnérables. Notamment, pour bénéficier plus longtemps des mannes de l’État. Le chômage partiel, dans ces cas, est de droit, et non corrélé à la situation économique de l’entreprise. Avec pour conséquence une baisse durable des revenus, dans les cas où l’employeur ne complète pas les 84 % du salaire net.

Quid aussi des contrats à durée déterminée ou périodes d’essai qui prendraient fin durant cette période ? Avoir remis un certificat d’isolement ne risque-t-il pas de jouer comme un repoussoir à la signature d’une embauche à durée indéterminée, l’employeur pouvant craindre de nouvelles absences ou des incapacités ?

Des informations à délivrer avec précaution

« L’équilibre entre protection des personnes et lutte contre les discriminations au travail est périlleux, surtout dans le contexte de fragilité économique actuel », souligne Carole Saleres, conseillère nationale emploi à APF France handicap.

De manière générale, mieux vaut donc y aller avec précaution quant aux informations fournies à l’employeur. Et ne pas révéler plus que ce qui sera nécessaire au bon accomplissement de ses tâches (en cas de besoin d’adaptation du temps de travail, par exemple). « Mais dans tous les cas si l’employeur s’en sert contre le salarié celui-ci peut le poursuivre pour discrimination », rappelle-t-elle.

Après la révélation du certificat d’isolement, l‘occasion d’adapter son poste

Par ailleurs, révéler certaines difficultés de santé peut aussi permettre de poser les choses avec son service RH, une fois de retour au travail, notamment afin d’envisager des adaptations de poste si besoin. « Mais il faut toujours bien en parler avec son médecin traitant d’abord et en mesurer la nécessité, au cas par cas. »

Enfin, si le confinement se prolonge, existe un risque d’isolement non plus seulement physique mais aussi psychologique. « Le risque est important que les travailleurs en situation de handicap soient contraints de rester chez eux, alors que la majorité pourrait reprendre ou poursuivre leur activité professionnelle moyennant aménagements et sécurisation des collectifs de travail », écrivent APF France handicap et les autres membres de la commission emploi du CNCPH dans leurs préconisations sur la reprise d’activité. « Les psychologues des services de santé au travail ont un rôle important à jouer dans la période de reprise », y suggèrent-ils. Pour que protection ne rime pas avec discrimination.

Elise Descamps

Le 22 juin 2020