Le 01 mars 2018, La Gazette du Palais, Olivia Dufour

« C’est inadmissible de mélanger immigration et asile », s’indigne Thierry Jacqmin quand on l’interroge sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif. Cet avocat, qui plaide régulièrement devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), participe à la grève décidée par trois syndicats de personnels de cette cour. Ce mouvement durait depuis déjà une semaine quand le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, a présenté son projet de
réforme en Conseil des ministres le 21 février 2018. Depuis, deux syndicats de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ont rejoint le mouvement pour « réclamer l’abandon pur et simple de toutes les mesures de la réforme du droit d’asile de nature à porter atteinte aux droits des demandeurs d’asile, ainsi qu’aux conditions de travail à l’OFPRA ».
La confusion entre asile et immigration n’est pas le seul point qui heurte les opposants au projet. C’est également le cas du calendrier. Ce nouveau texte intervient sans que n’ait été dressé le bilan d’application de la précédente reforme intervenue en 2015. Résultat ? Un empilement de textes illisibles. Dans son avis sur le projet, daté du 15 février, le Conseil d’État note que depuis 1980, pas moins de 16 lois majeures sont venues modifier les conditions d’entrée et de séjour ou d’asile. Il déplore « que le projet ne soit pas l’occasion d’une simplification drastique des dispositifs qui, au fil de la sédimentation des dispositions, se multiplient et se déclinent en variantes dont la portée, le régime ou les conditions diffèrent marginalement, sans que cette sophistication n’entraîne un surcroît d’efficacité » (CE, avis,
15 févr. 2018, n° 394206).

Recours. L’un des objectifs de la réforme consiste à accélérer le traitement des demandes d’asile. En pratique, les demandeurs d’asile s’adressent en premier à l’OFPRA et peuvent, en cas de refus, exercer un recours devant la CNDA. Le délai pour ce recours était jusqu’ici de 1 mois, il va être réduit à 15 jours. « 1 mois, c’était déjà dérogatoire au droit commun car un administré dispose en principe d’un délai de 2 mois pour contester une décision. Ce sont déjà des gens en grandes difficultés, pourquoi les traiter encore plus mal que les autres, qu’ont-ils
fait pour mériter ça ? », s’interroge Thierry Jacqmin. Il ressort du dernier rapport annuel d’activité de la CNDA que la cour a enregistré 53 581 recours en 2017, ce qui représente une augmentation de 34 % par rapport à l’année précédente. Les rapporteurs confient qu’ils traitent plus d’un dossier par jour ouvrable et qu’ils ne peuvent pas faire davantage à moyens constants. « L’OFPRA et la CNDA tiennent presque les délais qui leur sont imposés. Ils ne pourront pas aller plus vite. C’est l’administration préfectorale qui ne parvient pas à suivre dans l’accueil des demandeurs et leur orientation vers les plateformes, c’est là que se situe le vrai problème sur les délais » explique l’avocat.

Autre mesure du texte qui suscite la colère : l’article 8 qui énonce que « le droit au maintien cesse dès la lecture en audience publique de la décision ». Sauf qu’il n’y a pas de lecture en audience publique à la CNDA, mais un affichage dans le hall de la cour. « Encore une dérogation au droit commun. En principe, c’est la notification par LRAR qui fait courir les délais. Et en plus, il y a des erreurs dans les affichages. La cliente d’un de mes confrères a fait une tentative de suicide en voyant sa demande rejetée sur le tableau, alors qu’en réalité, son dossier était accepté, mais elle ne l’a su que lors de la notification » se souvient Thierry Jacqmin.

La liste des dispositions qui font bondir les professionnels est longue. Il y a par exemple le fait d’allonger de 16 à 24 heures le délai de rétention pour vérification du droit de séjour. « C’est inacceptable, il s’agit d’une garde à vue sans les droits attachés à une garde à vue, s’indigne le vice-bâtonnier de Paris Basile Ader. Il faut rappeler que le séjour irrégulier n’est pas un délit ». De même, le délai maximum de rétention administrative passerait de 45 à 90 jours. « C’est purement démagogique. Quand un étranger sans papier est amené en centre de
rétention, l’administration contacte son consulat pour demander un document de voyage afin de le renvoyer dans son pays d’origine. On sait très bien que si on n’a pas obtenu le document dans les 15 jours, on ne l’aura jamais. Il s’agit juste d’un signal », s’irrite Thierry Jacqmin. Dans un communiqué publié le 21 février, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGPL) critique fermement cet allongement et rappelle son souhait que cette durée soit limitée à 32 jours.

Visioconférence. Et puis, il y a la généralisation de la visioconférence, ou plus précisément des « vidéo-audiences ». Le Conseil d’État n’y trouve rien à redire dans son avis. Au contraire, il y voit une mesure de bonne administration de la justice évitant l’allongement des délais, une façon de préserver la dignité des demandeurs en évitant des déplacements sous escorte et une mesure permettant d’économiser les escortes et donc conforme au bon usage des deniers publics. Une argumentation qui ne convainc évidemment pas les avocats. « La visioconférence est très problématique car elle se généralise alors que ce n’est pas de la justice. Cette technique fonctionne mal, ne permet pas d’échanger et créée une distance qui ne convient pas, c’est un
vrai recul sur le terrain des droits de la défense », analyse Basile Ader. Sur ce sujet, les avocats ont le soutien du CGPL qui note dans son communiqué du 21 février : « la généralisation du recours à la visioconférence pour les audiences, sans le consentement des intéressés, est inacceptable. Outre des difficultés techniques souvent constatées, la visioconférence entraîne une déshumanisation des débats et nuit considérablement à la qualité des échanges ». Pour le
CGPL, la visioconférence doit demeurer exceptionnelle et soumise à l’accord de la personne concernée.

Le demandeur d’asile est mal traité
Les avocats dénoncent encore la création d’un nouveau délit visant à sanctionner l’entrée sur le territoire par un lieu qui n’est pas désigné comme un point de passage frontalier par le code frontières Schengen, délit puni d’1 an d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende. « De cette
manière, le demandeur d’asile qui entre sur le territoire se retrouve délinquant alors qu’il peut être déclaré plus tard tout à fait recevable dans sa demande », observe le vice-bâtonnier. Le barreau de Paris a adopté une motion par laquelle « il s’oppose aux dispositions proposées par le gouvernement qui contreviennent aux droits de la défense et au droit inconditionnel de  l’asile », explique Basile Ader. « Nous organisons un colloque sur l’asile le 6 mars avec l’OFPRA et la CNDA à l’occasion duquel nous allons réfléchir en profondeur sur le sujet ».

Mais il n’y a pas que le CGPL, l’OFPRA, la CNDA et les avocats qui sont vent debout contre la réforme. Dans un entretien au Monde daté du 22 février, le Défenseur des droits Jacques Toubon estime que dans ce projet, « le demandeur d’asile est mal traité ». Il appelle à cesser de faire croire qu’on est capable de maîtriser les flux migratoires et à construire « une politique publique qui organise les parcours migratoires ».

Le 3 mars 2018