par Nolwenn Weiler 4 novembre 2019

Ouvrir les droits à l’assurance-chômage aux démissionnaires ou aux indépendants figure parmi les promesses du candidat Macron. C’est chose faite, assure le gouvernement. Mais selon les agents du pôle emploi, les conditions d’attribution sont si drastiques que la plupart des intéressés ne pourront en bénéficier.

« Bonjour, je viens de démissionner. J’ai entendu dire que je pouvais avoir des droits. » Cette phrase, nombreux sont les agents du Pôle emploi à l’avoir entendue ces derniers mois, tant la communication gouvernementale sur cette promesse de campagne du candidat Macron a été
intense.

Jusqu’à présent, démissionner de son emploi impliquait de renoncer à ses indemnités chômage, perçues seulement en cas de licenciement, de rupture conventionnelle ou de fin de contrat temporaire. La mesure pourrait, selon la ministre du Travail Muriel Pénicaud,
bénéficier à 30 000 personnes par an. Elle sert aussi à légitimer la réforme de l’assurance-chômage qui réduit brutalement le niveau des allocations pour la moitié des indemnisés.

« Nous commençons donc par expliquer aux gens que cette disposition ne s’applique qu’à partir du 1er novembre, soupire Aurélie, agente depuis dix ans au sein de Pôle emploi. Ceux et celles qui ont démissionné avant cette date ne sont donc pas concernées. » Qu’en sera-t-il pour les suivants ? « Nous venons de découvrir les conditions d’acceptation en formation, et elles sont drastiques, décrit Catherine, également employée à Pôle emploi. La mesure ne concerne que les personnes en CDI, avec au moins cinq ans d’ancienneté.

Il faut que leur projet de formation ou de création-reprise d’entreprise soit bouclé en amont, et qu’il soit jugé « réel et
sérieux » ! »

Des conditions d’attribution drastiques
« Si je démissionne demain, je n’ai droit à rien, constate Gaëlle Moreau, porte-parole de l’association de chômeurs « AC ! ». Il faut avoir prévu son reclassement avant de démissionner.

C’est un mensonge de dire que les démissionnaires vont avoir des droits. »

Et les critères de ce droit au reclassement demeurent encore flous. « Je sors tout juste d’une formation sur le sujet, et il me reste pas mal d’interrogations, prévient Daniel, qui est lui-aussi agent à Pôle emploi.
Par exemple : qui va composer la commission paritaire interprofessionnelle chargée d’examiner le projet de reconversion ? »

Dans les couloirs des agences, il se murmure que ce sont les Fongecif (Fonds de gestion des congés individuels de formation) qui récupéreront cette tâche, sans que personne ne sache très bien comment ils vont y parvenir. Ils sont déjà largement débordés par le reste de leurs
activités.

Quant aux critères qui permettent de définir si un projet est « réel et sérieux », ils sont pour le moment inconnus.

Selon le gouvernement, entre 17 000 et 30 000 personnes porteurs d’un projet « réel etsérieux » pourraient profiter, chaque année, de cette mesure, pour un coût compris entre 230 et 345 millions d’euros [1]. L’Unédic, pour sa part, évalue les dépenses supplémentaires à 300
millions d’euros par an à compter de 2020 [2].« Le profil de personne démissionnaire qu’ils dessinent n’existe pas ».

Six mois après l’ouverture des droits, Pôle emploi examinera « la réalité des démarches accomplies ». En cas de manquement, ce sera la radiation et la suppression du revenu de remplacement pendant quatre mois ! Selon plusieurs agents, ces radiations seront limitées…
car le nombre de candidats sera très réduit : « Le profil de personne démissionnaire qu’ils dessinent n’existe pas », insistent-ils.

« Pour les indépendants – commerçants, artisans, micro-entrepreneurs, exploitants agricoles – ce sera la même chose. Les conditions sont drastiques », ajoute Gaëlle Moreau, de « AC ! ».
Pour avoir droit à une allocation de 26,30 euros par jour (environ 800 euros par mois) pendant un maximum de six mois, il faudra avoir exercé une activité continue pendant deux ans au sein d’une seule entreprise, en avoir tiré au moins 10 000 euros par an en moyenne, puis avoir fait l’objet d’un redressement ou d’une liquidation judiciaires. Les ressources annexes sont prises en compte : ces revenus complémentaires ne devront pas dépasser 559,74 euros par mois, ce qui exclura par exemple des indépendants ou des commerçants percevant un loyer d’un petit investissement immobilier si ce loyer est supérieur au plafond.

Autre question, quel « revenu » – au minimum 10 000 euros – sera pris en compte pour l’ouverture de ces droits : le chiffre d’affaires de l’activité, les bénéfices, les prises en charge des frais ? Des agents de Pôle emploi en charge d’informer les éventuels demandeurs l’ignorent encore, trois jours après la mise en place de cette nouvelle mesure. Nulle précision ne figure à ce sujet dans leur document de formation, que nous avons pu consulter, pas même un renvoi vers le décret du 26 juillet dernier qui précise que « sont pris en compte les revenus déclarés par le travailleur indépendant à l’administration fiscale au titre de l’impôt sur le revenu ».

Les agriculteurs les plus pauvres exclus de la mesure

Pour comprendre les différents régimes d’imposition sur le revenu, les agents de Pôle emploi devront probablement avoir recours à leurs collègues de l’administration fiscale. Les règles ne
sont pas les mêmes pour les artistes peintres, les artisans ou les agriculteurs, et il faut prendre en compte divers abattements, exclusions de recettes et autres bénéfices non commerciaux.
Le cas des agriculteurs est particulier. Une partie des agriculteurs à petits revenus pourront bénéficier de la réforme, ceux qui gagnent un peu plus de 10 000 euros par an. Mais les plus pauvres, eux, en seront exclus : 100 000 agriculteurs français gagnent moins de 5000 euros
par an, et ne pourront prétendre à l’indemnisation en cas de faillite…

Autre curiosité concernant les agriculteurs : le document de formation distribué aux agents de Pôle emploi
précise que le droit au chômage sera ouvert aux personnes ayant fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire « prononcée par un jugement du tribunal de commerce ». Or, si l’on en croit le ministère, le tribunal compétent pour les agriculteurs c’est le tribunal de grande
instance…

Le système universel de l’assurance chômage promis par le candidat Emmanuel Macron semble décidément bien étroit. Le gouvernement reste confiant. Il estime que 30 000 artisans,
indépendants ou micro-entrepreneurs pourraient se présenter aux guichets de Pôle emploi, et percevoir la modeste indemnisation pour un coût global de 140 millions d’euros.

Notes
[1] Voir l’étude d’impact du projet de loi « Avenir professionnel ».
[2] Voir la note d’impact de l’Unédic sur les réformes de l’assurance chômage, septembre 2019.

Le 9 novembre 2019