Perte de repères et de sens – une transformation du système de santé qui ne convainc pas

A l’encontre de la place conférée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) au début des années 2000 au système de santé français, la crise sanitaire a remis en exergue les faiblesses générées par près de deux
décennies de « réformes » et de maîtrise des dépenses.

Historiquement fondé, dès les ordonnances de 1945, sur un double système obligatoire et complémentaire à haute valeur de solidarité et d’égalité (dans l’accès aux soins, dans le financement, etc.), il n’empêche pas
aujourd’hui au creusement des inégalités, malgré de bons résultats en termes d’indicateurs globaux de santé, dont on observe cependant le ralentissement de leur progression.

Cette transformation assumée (lois de 2016 et 2019, lois de financement de la sécurité sociale – LFSS – successives) affecte les deux secteurs communément. Notre système devient de plus en plus illisible et instable, sa complémentarité devient dualité.
Les modifications législatives et réglementaires successives, au travers des LFSS en particulier, couplées à l’impératif constitutionnel du droit à la santé brouillent le rôle de chacun, entre l’Etat, l’Assurance Maladie
Obligatoire (AMO) et l’Assurance Maladie Complémentaire (AMC). Ainsi l’étatisation des deux secteurs induit-elle un rôle dénaturé à l’AMC, qui devient indispensable et corsetée dans ses offres. Cela induit en partie la perte de leur nature assurantielle en faveur d’une logique de « bouclier sanitaire », de l’assistance
aux plus démunis qui devrait – elle – relever de l’État. Il en est de même pour la réforme de la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-c), contrats responsables, « 100% Santé », taxe Covid, etc. avec en parallèle les objectifs nationaux des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) à tenir par des baisses de tarifs. La rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) ajoutant au contrôle de la prescription, ce mouvement d’étatisation des acteurs n’aura pas permis d’améliorer l’égalité d’accès aux mêmes soins pour tous, au contraire.

D’un autre côté, la libéralisation accrue, notamment par les directives européennes (Solvabilité 1 et 2 en particulier), entraîne regroupements et fusions des organismes complémentaires avec toutes leurs
conséquences sociales. C’est aussi le démantèlement des structures mutualistes et l’abandon des activités considérées non-rentables au nom de la performance économique.

L’activité de l’AMC est exercée sous trois statuts (assurance privée, institution de prévoyance, mutuelle) relevant de trois codes (code des assurances, de la sécurité sociale, de la mutualité). Il existe une différence
fondamentale entre les assureurs lucratifs (assureurs privés) et les non lucratifs, qu’ils soient à gestion paritaire ou mutualiste. Malgré cela, l’encerclement entre la législation nationale et les directives européennes a pour effet une homogénéisation de plus en plus prononcée des contrats proposés, leur
distinction ne se faisant plus que par le tarif et les services annexes alors que les patients ont des attentes diversifiées en matière de remboursement et ainsi des restes-à-charge importants qui excluent et perturbent les parcours de soins.

Une dépense mal répartie et difficile à supporter

L’attachement des Français à leur protection sociale, dont la Sécurité sociale en particulier, est sans cesse renouvelé à l’occasion de toute enquête. Toutefois, elles peuvent aussi révéler de l’incompréhension et des critiques, certaines légitimes, d’autres caricaturales.

Les hausses régulières de cotisations AMC, qui plus est injustement réparties, et les restes-à-charge attestent de l’impasse à laquelle ces transformations aboutissent. En effet, notre système, mis en dualité, génère à la fois une injustice contributive : suppression des cotisations salariales et instauration de la « TVA sociale », profil des taux d’efforts non plus proportionnels au revenu mais croissants du risque et propres à chaque classe sociale (âge, taxation des contrats impactant leur prix, etc.) et une injustice distributive :
atteinte à la liberté de prescription des praticiens, bouclier sanitaire pour certains, dépendance à la qualité du contrat complémentaire collectif, différences d’accès à de meilleures protections individuelles, etc. La
mise en œuvre du « 100% Santé » renforce la médecine à plusieurs vitesses en introduisant la notion de « classes de prestations » dans la liste des actes et produits remboursables par l’assurance maladie, définies en fonction de leur caractère primordial du service rendu et du rapport entre ce service et le tarif ou le prix
envisagé.

Force Ouvrière reste indéfectiblement attachée à la Sécurité sociale et à ses principes fondateurs. Elle affirme, dans l’esprit de l’ordonnance de 1945, que cela ne nie pas le rôle des complémentaires, mais bien
au contraire exige de leur redonner leur juste place.

En cela, Force Ouvrière affirme sa volonté d’un modèle social répondant à l’impératif de justice sociale et de résilience face aux crises, présentes et à venir, ou autrement dit de paix sociale.

Un débat délicat sur le rôle de l’AMO et de l’AMC dans un contexte d’économies budgétaires, mais nécessaire et possible

Les prémices d’une crise du consentement et la crise sanitaire amènent naturellement à réinterroger les transformations de ces deux dernières décennies. Son impact économique oblige à devoir assumer un choix de société.

Une gouvernance du système de santé fondée sur la République sociale

Fondamentalement attaché au financement par la cotisation, la gestion de l’AMO et de l’AMC doit être.rendue à ses financeurs, au contraire de l’étatisation grandissante de la gestion actuelle.

La gestion doit bien être celle d’assurances sociales sur le principe de la tarification au revenu et de la prestation au risque, et non l’inverse : la Sécurité sociale, les institutions de prévoyance et la mutualité partagent cette maxime commune : « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». En cela,
Force Ouvrière affirme que le secteur dit « libre » (lucratif), s’il a également sa place, ne peut toutefois pas assumer cette charge publique et doit demeurer marginal.

Pour ce qui concerne l’AMO, il s’agit donc de :
• restaurer les cotisations salariales et supprimer les CSG « activité » et « remplacement » ;
• restaurer le conseil d’administration de la Caisse Nationale d’assurance maladie (CNAM) ;
• restaurer des négociations conventionnelles paritaires ;
• supprimer les participations individuelles.

Pour ce qui concerne l’AMC :
• Instaurer dans le secteur privé et dans le secteur public des Accords Collectifs de Solidarité Sociale (ACSS), instruments juridiques incluant santé et prévoyance, négociés au niveau des branches
professionnelles pour organiser un dispositif de mutualisation garantissant une couverture
complémentaire de bon niveau et au moindre coût : les clauses de recommandation ont démontré leur inutilité et il faut même aller plus loin que la restauration des clauses de désignation ;
• Enrichir le dialogue social sur la Protection Sociale Complémentaire dans la Fonction Publique avec la définition et le suivi des paniers de garantie couplant Santé et Prévoyance de bon niveau, adaptés aux populations couvertes et dont l’effort contributif soit engageant pour l’Etat-employeur.
• Garantir la solidarité intergénérationnelle et celle avec les ayants droits et négocier des dispositions relatives aux mécanismes de solidarité répondant à la portabilité des droits (entre situations en activité et lors du passage en retraite)

L’économie globale du système de santé est évidemment beaucoup plus complexe et s’inscrit aujourd’hui dans la transformation globale du financement de la protection sociale et du débat sur la dette. Toutefois, la sortie de l’impasse actuelle tant en termes de satisfaction des droits que de déséquilibre financier doit être engagée sur ces fondamentaux. Aussi, la lutte contre la fraude participe à cet impératif de justice
sociale, trop souvent négligé.

Un modèle social fondé sur l’égalité et la solidarité

Pour assurer l’universalité des bénéficiaires, et ne laisser personne dans l’empêchement d’accès aux soins, chacun des deux secteurs a sa place face aux inégalités de couverture et de reste-à-charge :
• la complémentaire santé solidaire (CSS) doit être automatiquement attribuée en l’absence d’autre complémentaire, et financée par un impôt républicain (ni taxe ni redevance) ;
• l’usage du degré élevé de solidarité (DES) doit être développé ;
• les fonds d’action sanitaire et sociale doivent être mieux dotés ;
• la fiscalisation des contrats et des organismes doit être revue : elle doit être différenciée suivant le statut (non-lucratif et lucratif), et ne plus porter sur les cotisations ;
• le tiers-payant doit pouvoir être étendu pour l’AMC également, et les différentes prises en charges clarifiées aussi pour l’assuré

Les clés de l’articulation AMO – AMC pour y parvenir

Il est impératif de répartir clairement et lisiblement les rôles, en sortant de la mainmise croissante de l’État.
Son rôle restauré sur le contrôle de légalité et des comptes doit permettre d’assurer la cohérence de notre modèle social et de sa gestion :
• éviter la multiplication des réglementations : AMO et AMC, actrices de la République sociale, doivent être exemplaires et transparentes, tant dans les comptes que dans la qualité et la lisibilité de l’offre ;
• substituer à la réforme concertée la réforme négociée : chacun, pour ce qui le concerne, doit être partie prenante de la décision ;
• maintenir communes les bases de remboursement ;
• préférer l’investissement commun dans la prévention à la maîtrise des dépenses et restaurer des marges de manœuvres à l’AMC en améliorant les remboursements AMO défaillants.
• garantir la complémentarité de l’offre de services entre AMO et AMC.

Le 13 septembre 2021