Changer un mot, un seul. Et c’est notre plus bel ouvrage collectif qui pourrait s’effondrer, la Sécurité sociale.

La commission des lois de l’Assemblée nationale vient de voter un amendement de la majorité présidentielle pour changer l’appellation de « Sécurité sociale » en « protection sociale » dans la Constitution. Aux motifs que les problèmes d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier, que la prise en charge de la dépendance nécessite cette modification, que les « dépenses sociales » ne doivent plus être là pour sécuriser des parcours de vie mais pour protéger des risques de l’existence.

Tous ces arguments sont injustifiés. Nul besoin de modification constitutionnelle pour mettre en place un risque « Dépendance », c’est tout à fait possible à législation inchangée.

Les problèmes d’hier, dans le fond, sont les mêmes qu’aujourd’hui : ce sont les risques économiques, que ce soit en raison d’une maladie, de charges familiales, de la retraite, du chômage, etc. C’est le risque de perdre son revenu ou de devoir faire face à une surcharge de dépenses. C’est ce que la Sécurité sociale a organisé : la prise en charge collective de ces risques et qui a fait émerger la notion de risque social.

Ainsi, le gouvernement veut asseoir la mainmise de l’appareil d’État sur non seulement la Sécurité sociale mais aussi sur toutes ses dimensions connexes (assurance chômage, retraites complémentaires, hôpitaux publics : ce qui est derrière ce vocable de « protection sociale », en plus de la seule Sécurité sociale) afin de construire son « nouveau monde social », qu’il qualifie aujourd’hui d’universalisation des droits, mais qui de facto transformera la Sécurité sociale en une assistance publique aux plus démunis, sur l’ensemble des risques sociaux, devenus sociétaux : maladie, chômage, retraite, etc. Et il y aura avec cela le renforcement de tout le contrôle à outrance sur les bénéficiaires ! Alors place sera faite aux assurances privées pour « protéger » uniquement ceux qui en auront les moyens…

Force Ouvrière condamne et s’oppose à cette modification imposée, sans concertation, si lourde de sens et de conséquences. Il s’agit à nouveau de promouvoir une « déprotection » de tous, au bénéfice de quelques-uns. Un pays en ruine a su créer « la Sécurité sociale », un concept unique au monde, socialement et solidairement exceptionnel, d’une rare modernité. Une France riche peut et doit faire croître cette Sécurité sociale. Cette transformation serait une faute historique, ce serait constitutionnaliser la mort de la Sécu !

L’amendement prévoyant de renommer la « sécurité sociale » en « protection sociale » dans la Constitution a été retiré le 6 juillet 2018, après quelque quarante-huit heures de polémique. Non sans avoir fait couler de l’encre. Aperçus dans la presse.

Le Monde 
Cet amendement proposait que le texte fondamental ne mentionne plus les lois de financement de la sécurité sociale mais de la protection sociale. L’objectif affiché était d’étendre le champ de la loi de financement en l’étendant à la protection sociale. Immédiatement, la CFDT et Force ouvrière ont fait connaître leur opposition à cet amendement.

L’Obs 
Ainsi Force Ouvrière avait dénoncé, de son côté, une faute historique qui reviendrait à constitutionnaliser la mort de la Sécu. Appuyé à l’origine par Matignon et le ministère de la santé, Olivier Véran [député de la majorité présidentielle à l’origine de l’amendement. NDR], était monté au créneau pour expliquer qu’il fallait changer le PLFSS (projet de loi de financement de la Sécurité Sociale) en PLFPS (projet de loi de financement de la Protection Sociale), condition indispensable à l’identification dans la protection sociale d’un risque dépendance, conformément au souhait du Président de la République, ainsi qu’à la création d’un système universel de retraite ». Ce qui est conforme au conformisme libéral old school du chef.

Challenges 
Pour Force Ouvrière dans un communiqué, le gouvernement veut asseoir la mainmise de l’appareil d’État sur non seulement la Sécurité sociale, mais aussi sur toutes ses dimensions connexes (assurance chômage, retraites complémentaires, hôpitaux publics). La CGT a qualifié pour sa part cet amendement d’attaque frontale contre la Sécurité sociale. L’intention prêtée sur l’amendement qui voulait remplacer sécurité sociale par protection n’est pas celle du législateur, a réagi Richard Ferrand [député rapporteur du texte. NDR]. Nous adosserons donc, à la notion de sécurité sociale, celle de protection sociale allant ainsi au-delà de la sécurité. Une sécurité qui peut paraître bien flexible.

Libération 
Le premier coup de stylet porté, le député en question a, une fois sa mission de sicaire achevée, décidé de revenir partiellement en arrière. Je vais déposer demain un amendement qui rétablira le terme sécurité sociale après loi de financement, mais qui étendra quand même la loi de financement à d’autres champs que la seule sécurité sociale au sens strict. L’amendement devrait être débattu lors de la séance publique sur le texte, qui débute le 10 juillet. Et selon le rapporteur du texte, le député Richard Ferrand, le terme protection socialedevrait bien figurer suite à la réforme. La Loi de financement de la sécurité sociale devrait ainsi être étendue à la protection sociale. Quoi qu’il en soit, cette évolution de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) devra encore faire l’objet d’une loi organique pour définir précisément le périmètre de cette LFSS d’un nouveau genre. Genre meurtre programmé ?

L’Express 
Face à ce produit sémanto-toxique, des députés de l’opposition se sont alarmés de cette suppression, y voyant une confirmation de la volonté d’en finir avec l’universalité de la protection sociale à la française. Cela prépare à la fin de l’universalité de la protection sociale à la française. Le gouvernement veut détruire notre système de haut niveau financé par la cotisation pour ouvrir la porte au modèle anglo-saxon. Avec une préférence pour les portes dérobées.

Le 4 juillet 2018